La construction de canots à Ça-Ira, commune de Léogâne, est une pratique traditionnelle locale qui date de l’époque indienne et qui représente aujourd’hui un élément identitaire fort pour la population de Léogâne. Uniques en leur genre, ces embarcations sont entièrement fabriquées de manière artisanale et sont réputées pour leur solidité, leur beauté et leur qualité. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a certes détruit les ateliers des constructeurs mais n’a pas affecté la continuité de cette pratique très ancienne.
Canot quillé en construction à Ça-Ira, Léogâne © IPIMH 2013
La première étape de la construction d’un canot est la préparation des pièces de bois qui sont coupées à la scie électrique ou à la scie à main (gorine). Un type de bois différent est utilisé pour chaque partie du canot. La technique consiste à poser d’abord le cul, qui est une longue pièce de bois, en bas et au milieu du canot ; vient ensuite la varangue, en bois de cèdre, ainsi que les deux pièces maîtresses, en forme de V, qui s’attachent au cul et dont les deux bouts sont joints par les persaintes (ou bordage) et donnent la forme du canot. Puis sont installés l'étrave, l'étambot et le tableau ainsi que le garra qui sert de siège au pilote. Les serre-joints soutiennent la bôme sur laquelle est placé le mât. Les différentes pièces sont clouées au marteau, puis une couche de résine vient boucher les trous, calfater les bordures et teinter la coque pour donner une touche esthétique au produit fabriqué. Les canots et les voiliers se meuvent à une vitesse variable de 10 à 30 km/heure suivant la force de propulsion animée soit par les rames, le moteur ou le vent via le foc. Les petits canots mesurent environ 12 pieds 1/2 de long et 6 pieds de large tandis que les voiliers mesurent le double voire le triple, selon l’usage auquel ils sont destinés.
En temps normal, l’atelier de Boss Wilfrid emploie deux apprentis qui l’aident à scier le bois, préparer et placer les pièces. La construction se fait toute l’année. Selon l’affluence des clients, Boss Wilfrid estime qu’il réalise entre deux à trois bateaux de cabotage durant une année. Selon la dimension des embarcations et la disponibilité des matériaux, la durée de fabrication de ces bateaux de cabotage peut varier, en moyenne, entre quatre à huit mois.
Wilfrid Blanc, constructeur de canots quillés à Ça-Ira, Léogâne © IPIMH 2013
La construction de canots est une pratique technique qui relève d’un savoir-faire transmis par imitation. Un manœuvre travaillant avec un constructeur chevronné observe ses techniques et les reproduit. Le perfectionnement se fait en fonction du nombre d'essais tentés seul ou suivant l'aide d'un mentor dans un cadre plutôt informel. Boss Wilfrid se souvient que ses premières œuvres étaient deux canots de 8 et 12 pieds respectivement qu'il réalisa après plusieurs tentatives, en observant les constructeurs les plus réputés de la localité de l'époque, tels Boss Ilra et Ademais. Depuis, il exerce ce métier tout en s'assurant de transmettre son savoir-faire. Il dit avoir déjà formé des dizaines d’apprentis qui l’ont observé pendant plusieurs mois pour réaliser ensuite leurs propres embarcations. Aujourd’hui, ces élèves sont très connus à Ça Ira et certains reçoivent déjà des contrats de construction. Pour Boss Wilfrid, le seul secret du métier réside dans le placement du bois lors des premières étapes de la construction du canot ainsi que dans le type de bois utilisé.
Canot quillé en mer © IPIMH 2013
Autrefois appelée Habitation Daverne, la localité Ça-Ira, dont le nom réfère à une ancienne chanson de la France révolutionnaire, est connue pour la tradition de construction navale de canots.
Né en 1950, l’informateur Monsieur Wilfrid Blanc, mieux connu sur le pseudonyme de « Boss Wilfrid », est aujourd’hui le plus ancien constructeur de navires en bois à Ça-Ira. Il a d’abord commencé comme charpentier dans la construction de maisons en bois, jusqu’à l'âge de 18 ans, puis il s’est intéressé à celle des canots. Il a fait ses premiers pas aux côtés de Boss Bathol qui travaillait de concert avec les Boss Ademais et Ilra, héritant ainsi d’une tradition ancienne de construction navale, datant de l'époque des amérindiens. Depuis 1970, Boss Wilfrid réalise ces canots d’après la coutume tout en y apportant certaines innovations. Son atelier de travail se trouve à Ça-Ira, une petite localité côtière dont le port sert depuis le XIXe siècle d’embarcadère pour des échanges commerciaux entre l’île de la Gonâve et la commune de Léogâne ; on y fait également le commerce de charbon de bois et de poisson. Ces activités encouragent les artisans de la localité, comme Boss Wilfrid, à poursuivre la tradition de construction de canots qui sont vendus un peu partout dans le pays et qui sont utilisés pour la pratique de la pêche ou le cabotage, notamment le transport de sel et de charbon de bois. Ces canots sont parfois utilisés pour des régates.
Dautruche, Joseph Ronald. « Le Rara de Léogâne. Entre fête traditionnelle liée au vodou et patrimoine ouvert au tourisme », Ethnologies, vol. 33, no 2, p. 121-142, 2011.
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