La fabrication de bateaux à Marigot est une pratique qui s’exécute à partir d’un ensemble de techniques traditionnelles se perpétuant dans la communauté depuis plusieurs générations. Marigot est une référence dans ce domaine à travers tout le pays. Les bateaux qui sont construits dans cette zone sont surtout réputés pour leur solidité.
Franck Jeudy mesurant la distance entre deux structures d'un bateau © IPIMH 2011
Utilisant de nos jours d’avantage le moteur que les voiles, ces bateaux assurent une connexion entre différentes communes du Département du Sud-Est, ainsi que la pêche et le cabotage des marchandises entre Haïti et la République Dominicaine. Aux dires de Franck Jeudy, qu’il s’agisse de la construction des petits bateaux destinés à la pêche ou des grands bateaux (à voile ou à moteur) consacrés au cabotage, le processus est le même. La différence réside dans leur forme et leur dimension.
Les outils utilisés sont le ti pour travailler le bois afin de le transformer en pièce. Le sciage du bois et des planches est effectué avec une goyin. La pièce est massée par une galère et les bois très durs que les clous ne peuvent trouer sont percés avec un vilebrequin. Le clouage et l’arrachage des clous se fait au marteau. Les mesures de longueur et largeur sont effectuées à l’aide du ruban métrique ; les courbes et lignes sont tracées à l’équerre, et la mesure des angles pour positionner les pièces est prise au compas.
La construction du bateau nécessite préalablement la préparation du bois et des autres matériaux. Les bois de chêne et de cèdre sont les plus utilisés. Ils sont coupés suivant la hauteur et la dimension du bateau. La technique de construction consiste à poser d’abord la quille, une longue pièce de bois que l’on place au fond et qui traverse tout le milieu du bateau. Elle est installée sur deux supports afin d’éviter tout contact avec le sol et bien ajuster les autres pièces. Au bout de celle-ci, on crée l’étrave qui constitue la partie avant du bateau ; placée de façon oblique, sa disposition détermine la rapidité du bateau. Puis le tableau, soit la partie arrière du bateau, est posé. La charpente est alors soutenue par des chèvres, des petits poteaux en bois qui servent d’appui et assurent l’équilibre. La varangue ainsi que les pièces maîtresses en forme de V, attachées à la quille et dont les deux bouts sont joints par les préceintes (ou bordage), donnent au bateau sa forme. Selon l’utilisation et la rapidité souhaitées, les varangues peuvent être posées de deux façons. Les bateaux plus rapides ont une varangue à angle plus fermé et leurs dessous apparaissent plus élevés, tandis que ceux à angles plus ouverts sont moins rapides, mais leurs dessous flottent au même niveau que la mer, néanmoins ils peuvent transporter beaucoup plus de marchandises. On place ensuite deux règles (structures préparées à l’aide de 15 planches sciées de deux pouces de largeur). Elles sont installées des deux côtés du bateau, depuis la pointe et la hauteur de l’étrave jusqu’au tableau. On en ajoute une autre à la ceinture de la courbe du bateau. Puis, on renforce le tout avec le bois pour supporter le squelette. On procède ensuite à l’installation des planches de bordure et des préceintes réalisées avec un bois de 4 à 5 pouces. On attache chaque préceinte, sans la clouer totalement au bateau, afin de vérifier si elle est bien disposée. Quand elles sont toutes bien ajustées et solidement attachées par des clous galvanisés de 2 à 6 pouces, le bateau est alors prêt pour être calfeutré. Au cours de cette opération, on utilise l’étouffe et la résine pour boucher les jointures. Enfin, le bateau est peint et décoré avec des couleurs, des dessins et des messages selon les souhaits du propriétaire.
Une fois la construction du bateau terminée, le propriétaire invite ses amis et le constructeur à participer à son baptême. Au cours de ce rituel, le bateau est mis à la mer pour la première fois. A bord, boissons et nourriture sont distribuées. Le tour dure une heure ou deux, il est agrémenté d’une animation musicale à l’aide de tambours, de chansons traditionnelles et de prières destinées à la protection du bateau en mer. Lors du premier voyage, le propriétaire offre une réduction de prix allant de 20 à 80 % à ses premiers voyageurs ; c’est le bonus du premier voyage.
Un bateau construit par Franck Jeudy © IPIMH 2011
C’est en 1950 que Boss Franck Jeudy a été initié par son père qui pratiquait lui-même le cabotage auprès du Boss Dodo Fandal, originaire de la commune de Grand-Gosier. À la mort de son tuteur, il a profité de l’encadrement et de l’assistance de Boss Joseph, un anglais qui a vécu à Marigot. Avec ses 61 ans d’exercice, il a construit un nombre important de bateaux et a formé plusieurs générations de disciples expérimentés et réputés, dont son fils, Franxo Jeudy.
Un bateau réparé par Franck Jeudy prêt à reprendre la mer © IPIMH 2011
Né en 1930 à Marigot, M. Franck Jeudy est actuellement le plus ancien constructeur de bateaux à Marigot encore vivant et le premier résident du bord de mer, près du port. Avec son cousin Édouard Sanon, il a fait ses premiers pas dans ce métier aux côtés du Boss Dodo Fandal et d’un Anglais communément appelé Joseph.
Jusque dans les années 1980, les bateaux étaient construits à voile et actionnés par le vent, ce qui allongeait la durée du voyage. Les techniques de construction ont été adaptées suite à l’introduction du moteur, une technologie augmentant la rapidité des bateaux. Ces bateaux sont aujourd’hui utilisés pour la pratique de la pêche et le transport des marchandises et ils assurent les liaisons entre les différentes communes d’un même département (en particulier celles des arrondissements de Jacmel et de Belle-Anse).
La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.
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