Le tanbou Marengwen (tambour maringouin) est un instrument musical traditionnel présent dans certaines régions d’Haïti (Nord, Artibonite ,Sud, Grand’Anse, Ouest, etc ). Il est réputé accompagner les chansons populaires et vodou et sert également à divertir les paysans. Il est joué par des jeunes et des adultes dans la cour des habitations en milieu rural
Selon Lorimer Denis et Emmanuel C. Paul, le tambour marengwen ou marengwen piga zonbi, autre nom donné à l’instrument dans la région Sud d’Haïti, est fortement ancré dans le temps et dans le territoire haïtien. Le Marengwen piga zombi ou tambour marengwen tire ce nom du fait qu’il est associé et sert d’instrument ludique au revenant ou zombi. Il est déjà très présent à l’époque coloniale, puis, lors de la lutte pour l’indépendance, il a été utilisé pour monter le morale des soldats de l’armée indigène. Après la proclamation de l’indépendance (1er janvier 1804), il a accompagné la liberté et la dignité recouvrées de la Nation.
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Le tambour Marengwen est en premier lieu un cordophone c’est à –dire un instrument dont le son est produit par la mise en vibration d’une corde, et est aussi un membranophone c’est à dire un instrument de percussion produisant les sons par la vibration d’une membrane tendue sur un cadre Il est le seul monocorde à deux variantes jusqu’ici connu parmi les tambours inventoriés du patrimoine culturel haïtien. Généralement il est disposé dans une cour de maison ou sous un arbre. Un artisan met environ une heure pour le fabriquer qui peut être utilisé durant six mois consécutifs.
En terme de matériaux, la fabrication du tambour marengwen exige l’utilisation de quatre piquets, d’une membrane en tige robuste de palmier ou stipe, de six morceaux de bois, d’une calebasse et d’un trou creuset à même le sol .
Au début, on creuse un trou dans le sol suivant la dimension d’une calebasse. Dans le trou on y introduit la calebasse ensuite on ajoute de l’eau et un anolis, une espèce locale de lézard ayant quelques centimètres jusqu'à 20 cm de long. Les ondulations de l’anolis dans l’eau vont servir d’amplificateur sonore.
On recouvre le trou avec du stipe ou de la tôle. Une corde de sisal (pite en créole) sert de membrane et est attachée au sommet de la calebasse à l’aide d’un clou. Une partie de la corde est plongée dans l’eau. Par ses multiples mouvements, l’anolis amplifie le son dans l’eau.
Les quatre piquets appelés zoban sont fixés au sol et servent de support vertical à la membrane en stipe de palmier préparé ou en tôle .Cette membrane est immobilisée par six morceaux de bois croisés. La fixation de la membrane avec les quatre piquets sert de support pour accueillir le kata, c‘est à dire l’action de frapper les baguettes sur la membrane.
Celle-ci est percée d’un trou qui laisse passer à peine la corde. Cette corde est amarrée à une tige d’arbre très flexible (généralement de l’oranger) appelée bois volant ou flexible. La tige est fixée au sol grâce à un autre trou creusé à cet effet. Ainsi, elle forme avec la corde un arc de cercle, ce qui rend immobile l’instrument qui ne peut être déplacé sans être détruit. Une autre pièce de bois supporte la structure, et est en bois flexible, facile à manier, ce qui permet de trouver le son recherché et exécuter la note.
Il faut signaler qu’il existe plusieurs types de tambour marengwen. Depuis quelques années, ils sont fabriqués grâce à une nouvelle technique qui les rend portatifs. Selon Lorimer Denis, ce nouveau modèle consiste en une petite caisse rectangulaire surmontée d’un arc en bois. La corde est tendue de l’extrémité de l’arc à la caisse. Cette caisse est souvent couverte de papier et la corde est en sisal (pite). Généralement, ce tambour n’est ni peint, ni orné.
Il existe une deuxième variante de tambour marengwen portatif dont le système de fabrication paraît plus compliqué. Cette variante est décrite par Suzanne Comhaire-Sylvain dans son ouvrage « Les contes haïtiens ». Elle consiste en une planche qui sert de support à l’arc et à la caisse. Celle-ci est constituée d’une marmite fixée à un bout cloué et soutenu par une traverse à l’autre bout. La corde est également en sisal et tendue de l’extrémité de l’arc à la caisse. Ce deuxième modèle est très répandu en milieux ruraux.
Après sa fabrication, un musicien va le jouer. Ainsi, il se tient en face de l’instrument, accroupi ou assis à même le sol. D’une main, il fait vibrer la corde avec un petit morceau de bois et de l’autre il tient la tige pour exécuter les notes. Un autre musicien participe à l’action qui, avec deux baguettes, exécute au même moment le kata sur la membrane qui sert de caisse de résonnance. Les morceaux exécutés durent approximativement 5 à 6 minutes. Tour à tour, d’autres musiciens prennent place pour exécuter d’autres morceaux.
Les chants exécutés au son entraînant de ce tambour relèvent du répertoire des cérémonies vodous du rythme Djouba, c’est-à-dire des cadences chantés dans les moments de divertissement et pour rendre honneur à Zaka, divinité des paysans. Ces chants sont aussi du rythme Banda interprétés en l’honneur des Gede, c’est- à dire les esprits de la mort dans la religion vodou, célébrés le 2 novembre.
La croyance populaire veut que l’on joue au tambour marengwen durant la nuit. Mais dans les départements du Nord et l’Artibonite, on le joue aussi durant le jour tant que la nuit pour divertir les paysans. Dans le Sud et l’Ouest, il est utilisé durant la période de pâques (Mars - Avril) et des Gede (Octobre - Novembre) pour vénérer les lwa associés à ces festivités. Selon Emmanuel C. Paul, il est aussi utilisé par certains groupes déguisés en motifs effrayant appelés les Lamayot, durant les défilés carnavalesques dans les rues de Port-au-Prince.
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Le tambour marengwen est joué par toutes les tranches d’âge. Les enfants sont autorisés à le pratiquer durant les vacances scolaires. Ainsi cela contribue à l’apprentissage et à la transmission. Celles-ci s’effectuent par la participation à des cérémonies ou des activités ludiques où il est utilisé pour égayer l’atmosphère. L’observation des artisans lors de la fabrication de cet instrument permet d’en assurer la continuité des techniques dans le temps. Les chants sont composés et transmis lors des sérénades ou des cérémonies vouées aux lwa Gede.
C’est à l’âge de 15 ans, que l’informateur Cépoudy Rémy dit avoir fabriqué son premier tambour en imitant son grand frère et ses camarades : « C'est en suivant mes grands frères que je suis arrivé à pratiquer le tambour marengwen. Eux-mêmes l’ont appris des anciens qui le pratiquaient ». Depuis, il en a fait sa principale arme de combat pour chasser son chagrin et pour jouer au sein d’un groupe musical de son quartier. Il participe à mettre en valeur la pratique du tambour marengwen. Aujourd’hui âgé de 36 ans, il transmet ce savoir-faire et cette pratique à d’autres jeunes. Déjà, ceux qui l’ont accompagné lors de ses démonstrations sont en mesure d’en jouer. Ils lui sont très reconnaissants; cela prouve que la transmission est effective.
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Les instruments à cordes sont presque inexistants dans le répertoire des instruments de musique populaire en Haïti. Le seul monocorde connu pour l’instant est le tambour marengwen.
Durant la période coloniale, le tambour constituait le principal instrument musical utilisé par les esclaves à Saint-Domingue dans le cadre de leurs rencontres sur les plantations sucrières et caféières. Il a épousé leurs souffrances et leur a servi d’instrument de ralliement, de canal pour invoquer voire évoquer les lwa. Mais l’interdiction leur a ensuite été faite, par les maîtres français dans le Code noir (1685), d’utiliser des tambours dans la colonie de peur qu’ils incitent à la révolte. Les esclaves, ne pouvant plus vivre sans le son du tambour qui rythmait leurs chants et nourrissait leurs desseins, ont inventé une autre forme de tambour en remplacement de celui de forme conique. Ainsi ont-ils créé le tambour marengwen ou marengwen piga zonbi. Il a ainsi suivi la courbe du destin des esclaves noirs de Saint-Domingue. Le nom marengwen fait référence à cette moustique (maringouin) qui pique les esclaves durant la nuit.
En réalité, le tanbou marengwen est d’origine africaine. Il est connu à Founta-Djalon en Guinée (ou Guinée Conakry) et en Afrique Centrale sous le nom d’arc-en-terre. En Afrique, il est dédié aux esprits de la terre appelés Ziwanda Wanda. Le savoir-faire a été transporté dans la colonie saint-dominguoise. Il a été recréé par les esclaves noirs arrachés des terres africaines au cours de la traite négrière. Ils ont choisi le tambour marengwen sur les habitations coloniales comme une stratégie pour se défaire des atrocités du travail de la terre en s’adressant aux esprits de la terre.
Le tambour marengwen est un instrument à la fois de percussion et à corde hybride tiré du continent africain et de l’enfer de l’esclavage sur la terre saint-dominguoise qui deviendra Haïti. Il est utilisé aujourd’hui dans les orchestres populaires, les bandes de rara, les cérémonies vodou et les danses sacrées et profanes. Déjà dans la mythologie haïtienne, le tambour était sacralisé voire déifié. Le folklore fait du tambour maringouin l’instrument des revenants (zombies) et des esprits des cimetières à cause du caractère nasal du son. La croyance veut que les zombies viennent le jouer la nuit lorsqu’on le laisse chez soi avec la corde tendue. Il faut donc la dénouer.
Belinga, Eno. Littérature et musique populaire en Afrique Noire, Toulouse, Editions Cujas, 1965.
Comhaire-Sylvain, Suzanne. Les contes haïtiens, Wetteren, Imprimerie de Meester, 3 volumes, 1937.
Constant, Vogeli Juste. La musique (ses origines, son développement en Europe, ses caractéristiques Négro-africaines et aspect dans le milieu national), Port-au-Prince, Publication du bureau d’Ethnologie de la République d’Haïti, Imprimerie des Antilles, 1980.
Dumerve, Etienne Constantin Eugène. Histoire de la musique en Haïti, Port-au-Prince, Imprimerie des Antilles, 1973.
Denis, Lorimer et Paul, C. Emmanuel. Essai d’organographie haïtienne, Port-au-Prince, Publication du bureau d’Ethnologie de la République d’Haïti, Imprimerie des Antilles, 1980.
Paul, C. Emmanuel. Notes sur le folklore d’Haïti, Port-au-Prince, Telhomme, 1946.
La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.
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