Souvenance (Souvnans en créole) est un des sites de cérémonies traditionnelles vodou les plus importants en Haïti, avec Soukri et Badjo, situés également dans la région de Gonaïves. Haut lieu de mémoire et de pèlerinage, il compte parmi les espaces de culte vodou les plus anciens ; les rites y sont pratiqués depuis les années 1790. Il rassemble chaque année à l’occasion des célébrations du temps de Pâques des foules issues tant de la population locale, de la diaspora que de l’étranger. Les cérémonies qui se déroulent à Souvenance perpétuent des pratiques de tradition africaine, principalement dahoméenne (de Dahomey, ancien nom du Bénin) transplantées dans le Nouveau Monde. Ce patrimoine est encore très vivant aujourd’hui, dans la mesure où ces pratiques sont conservées, portées et transmises par des hommes et des femmes de génération en génération. Le respect scrupuleux des rites dahoméens constitue la spécificité de Souvenance par rapport aux autres lieux vodou dans le pays.
Cérémonie Ogou © IPIMH 2010
Les festivités à Souvenance se déroulent chaque année du Vendredi saint au vendredi de la semaine suivante. Il s’agit d’un ensemble de rituels vodou où se mêlent prières, chants, danses, sacrifices de bétail, transe, bain de purification. Souvenance a un rayonnement national et international. Ces festivités attirent des centaines de personnes. On peut noter à côté des pitit kay (les héritiers formels et mystiques de l’espace) vivant en Haïti ou à l’étranger, des chercheurs, des étudiants, des journalistes haïtiens et étrangers, les membres du gouvernement haïtien et les habitants de la zone.
Le premier jour, soit le vendredi, commence par la salutation de bandes de rara dans l’après-midi. La soirée, appelée veye Bon Dieu, est animée par un pratiquant de l’Eglise catholique, pè savann, on y chante des hymnes et des prières catholiques. C’est le serviteur principal qui met fin à cette activité à l’aube.
Le samedi matin est réservé à la décoration du Soba. Le soir, vers 7h, le son d’une cloche marque l’ouverture officielle des festivités. Cette cérémonie qui se déroule au Soba (espace réservé aux initiés-es) est interdite aux non-initiés. Les ousi (initiés-es du vodou) tout de blanc vêtus dansent au rythme des chansons. On ne joue pas au tambour lors de ce rituel qui dure 2 à 3 heures environ. Une fois terminé, ils se dirigent vers le oufò (temple du vodou) pour faire un oudyale, soit plusieurs tours à l’intérieur du péristyle en dansant au rythme des tambours. Puis la procession s’avance vers l’entrée principale du site où se loge le lwa Legba (esprit du vodou) selon la croyance vodou. La cérémonie en l’honneur de Legba dure une heure environ; on se redirige ensuite vers le péristyle où la cérémonie va continuer jusqu’à 2 heures du matin.
Le dimanche dès 5h du matin, commence une cérémonie appelée «cérémonie rouge» au cours de laquelle des animaux sont sacrifiés (3 chèvres et 1 mouton) dans le Soba. Lesousi maculés du sang de ces animaux les portent sur leurs épaules dans le péristyle en dansant et en chantant, ils se déplacent ensuite dans une chambre appelée chambre Zanmadòn où sont sacrifiés deux autres chèvres. Il faut préciser que les adeptes du vodou ont le devoir de donner à manger aux lwa; certains rituels vodou portent même le nom de manje-lwa (nourriture pour les esprits du vodou). La procession suit son chemin suivant la hiérarchie des lwa à l’honneur ce jour-là: Ayizan, papa Loko, papa Ogou, Zanmadòn, et se termine par le traditionnel bain dans le bassin Zanmadòn. Ce bain constitue une sorte de purification, selon les pratiquantes et pratiquants. Les ousi se dirigent vers le dòvò (un espace réservé aux initiés) et vont se changer pour arborer des vêtements aux tons vifs et des foulards de différentes couleurs; cette cérémonie s’appelle « cérémonie de la prise de banderoles ». Certains ousi portent le nom de leur lwa mèt tèt (lwa qui adopte un ousi au moment de son initiation) sur leurs vêtements, par exemple: Atyaso, Sobonaki, Metrès Abonm, Metrès Erzulie, Agwe Tawoyo, Lokodavi, Badèsile.
Le lundi, de 6h du matin à 5h de l’après-midi, se déroule la cérémonie en l’honneur de Papa Lisa (Une autre fiche est disponible sur ce rituel, « Le rituel du retour à Souvenance»). Le mardi est consacré à la danse asòtò, au rythme du plus grand des tambours sacrés de la tradition dahoméenne, nommé asòtò. Dans le vodou, plus particulièrement dans le rite Dahomey, le tambour asòtò est à la fois instrument de musique, médium de communication avec les lwa, et divinité lui-même.
Le mercredi, jour des tchovi («Fils de Dieu» en langue Fon, de Dahomey) est réservé au rituel de manje ti moun (nourriture pour les enfants). Les enfants des initiés ou des pitit kay chantent, dansent, jouent au tambour pour rendre hommage aux lwa, particulièrement les lwa jumeaux ou Marasa. Jeudi matin est célébrée la cérémonie coupe gato au cours de laquelle les ousi se réunissent pour fêter la réussite des activités. On se régale de gâteau et de vin. Jeudi soir une infusion de feuilles est préparée et distribuée à chaque pitit kay pour emporter chez lui. Cette eau servira à des rituels de protection. Le vendredi est consacré au bilan des activités.
Cérémonie prise de banderoles © IPIMH 2010
Souvenance est avant tout un espace familial et les pratiques sont transmises au sein des familles depuis plusieurs générations. Outre l’apprentissage informel, chaque année au moment des festivités, une journée est réservée aux enfants durant laquelle sont enseignés des chants et des pas de danse. Les enfants sont invités à ce moment à chanter et danser suivant la cadence des ousi, ce qui témoigne du désir des aînés d’assurer la pérennité de cette tradition.
Bain rituel à Souvenance © IPIMH 2010
La fondation de Souvenance remonterait aux environs des années 1791 peu après le soulèvement des esclaves dans le Nord, selon Roger Bien-Aimé. Elle aurait été l’œuvre d’un petit groupe d’esclaves qui s’était réfugié dans la zone pour pratiquer les rites ancestraux. Certains héros de la guerre de l’Indépendance auraient eu l’habitude de participer à des rituels vodou dans ce lakou.
Le premier serviteur en chef (celui qui dirige les rituels) du site s’appelait Jean Baptiste Bois dit Papa Bwa. À sa mort, son fils Archelus Bois lui succède. Celui-ci sera à son tour remplacé, par son Badjikan (son assistant). Vers les années 1940, Bien-Aimé fils a inauguré l’ère des Bien-Aimé. Cette famille, originaire de Mapou Chevalier, une autre habitation de la commune, a intégré l’espace par alliance et perpétue depuis la tradition de père en fils. Georges Bien-Aimé dit Fernand est actuellement le serviteur en chef du site.
Si les activités vodou à Souvenance datent de deux siècles environ, les festivités ne commencent à prendre de l’ampleur que sous le gouvernement de Dumarsais Estimé (16 août 1946 – 10 mai 1950), selon Roger Bien-Aimé. Il faut préciser que cette période coïncide avec l’ouverture du pays au tourisme international.
Demesvar, Kenrick et Richener Noel. Le lakou Souvenance : un capital religieux et culturel (Bilan d’une visite réalisée à Lakou Souvenance du 10 au 12 avril 2009), Ministère de la culture et de la communication de la République d’Haïti, Rapport non publié.
Fonds Odette Mennesson-Rigaud. Archives de la Bibliothèque haïtienne des Pères du Saint-Esprit, Port-au-Prince. « Souvenance, Soukri, Badjo : un patrimoine à préserver », cd-rom des archives numérisées, réalisé avec le soutien du bureau Caraïbe de l’AUF, Campus numérique francophone. http://www.ht.refer.org/OMR/_souvenance.htm.
La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.
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