La contredanse, culture vivante, n‘existe que dans deux sections de la commune de Limonade: Bois de Lance et Pistère. Les danseurs de Bois de Lance transmettent cette danse depuis plusieurs générations et leur pratique est reconnue dans la région. Cette danse participe activement à l'identité et à la cohésion de la communauté. Métissée, elle est devenue une « danse de résistance », soit une sorte de contre - culture des esclaves haïtiens qui s'appropriaient des éléments de la culture européenne et qui reprenaient ainsi possession de leurs corps et de leurs vies.
Doménis Altéon et Eliana Obei © IPIMH 2013
La contredanse est une succession de danses. On y retrouve les contredanses créolisées et les menuets kongos. Ces danses sont surtout accompagnées de tambours, corde de type Bantoue, tambourins, caisse ainsi que de la flûte comme instrument aérien créant la mélodie. Il y a un commandeur qui guide les figures en alternant les formes récurrentes et les improvisations. La langue utilisée est un jargon composé de français et de créole.
Cette danse métisse est devenue une « danse de résistance », ce qui fait de la musique du monde rural haïtien une sorte de contre-culture. D’aucuns pensent que la contredanse reproduit un combat amoureux avec les avances et les reculs, la séparation et la réunion. Quatre couples exécutent les figures principales comme : croisez les huit (kwaze lewit), où ils échangent leur place et se déplacent en faisant des entrechats.
En principe, l’on devait danser un pot-pourri. C’est-à-dire danser d’affilée neuf contredanses différentes comme si elles n’en faisaient qu’un seul, donc neufs rythmes différents s’enchaînant avec des figures complètes. La contredanse du groupe « lonjé la Men » comporte deux parties: le croisez les huit, une meringue, ainsi que le scié, une danse d’origine africaine très influencée par la contredanse et qui comporte des rondes, des avances et des reculs.
La danse matinik, une danse de fécondité bantoue également pratiquée par le groupe, comprend également deux parties : un «haut» et un «bas», dont la danse du ventre. Aussi un kongo, une danse bantoue avec des pas caractéristiques du genre. En effet, on remarque que malgré la prédominance Congo dans les apports d’esclaves avant la révolution haïtienne, le nord comporte un substrat Nago avec un métissage tardif Congo. Finalement, le banbou, qui semble s’apparenter à une forme de rara larvée, ainsi que des éléments vodou, font également partie de leur répertoire musical.
Exemple d'une contredanse © IPIMH 2013
Le groupe «Lonjé la Men» est l’un des dépositaires de ses traditions de danse dans la commune de Limonade. D’après les membres du groupe, Semerant Zephirin, originaire du sanctuaire Nan Kafe Duford, aurait été à l’origine de la diffusion de cette tradition qu’il aurait transmis à son neveu Saint Armand Obei, patriarche fondateur du groupe, lui-même natif de Cerca et membre du fameux sanctuaire Cerca Dono. Ces traditions ont été transmises de père en fils par le Patriarche, qui fonda une école de contredanse dont est issue Eliana Obei.
Selon cette dernière, il y avait de meilleurs musiciens à l’époque. Cependant la flûte a toujours été dominante en tant qu’instrument aérien porteur de la mélodie. Le mode de transmission actuel se fait par des répétitions tous les dimanches dans la perspective de former des jeunes. En effet, tous les enfants de la doyenne savent danser. Il existe au sein du groupe une pépinière de jeunes, prêts à prendre la relève.
On observe cependant une certaine résistance perceptible du fait de la conversion de certains membres de la famille au protestantisme. Il est intéressant de signaler le poids des Lakou traditionnels tels que : Cerca Dono, Kanpèch, et Nan Kafe Duford dans l’émergence et la persistance de ces traditions.
Percussions et flûte © IPIMH 2013
La contredanse haïtienne est directement issue de l’époque de la colonisation française. Elle est très vite adoptée par les esclaves, ce qui va lui donner à la fois des apports d’origine européenne et africaine. Derrière les idées reçues et l’oubli dont elle a été victime, voire même sa marginalisation, il y a une réalité vivante d’un fait culturel vécu et assumé par les paysans passionnés de ce genre musical, chorégraphique, qui exprime une manière de vivre ensemble.
Cette culture vivante n‘existe que dans deux sections de la commune de Limonade : Bois de lance et Pistère. La contredanse et la quadrille vont devenir les formes les plus dansées dans les colonies par les esclaves, les libres, les colons et les planteurs au 18e siècle. L’influence de cette musique européenne se retrouve dans les mélodies des chants basées sur la gamme heptatonique diatonique dans la musique instrumentale du menuet, de la contredanse, des lanciers, la polka ou encore la quadrille (Fouchard, 1953). Il semble que la généralisation de la pratique eut contribué à réduire la distance que les colons d’origine européenne avaient voulu instaurer entre eux et les Noirs de la colonie. C’est pourquoi l’adoption de la danse des Européens par la population noire doit être vue comme un acte de résistance à la déshumanisation.
Après l’appropriation de l’espace de la danse, les esclaves reprenaient possession de leurs corps qui, d’un point de vue légal, appartenait au maître. Aussi, le fait même d’exécuter une danse hautement symbolique pour les européens constituait pour eux une sorte de remise en cause des justificatifs de leur mise en captivité. Par un curieux paradoxe, l’esclave déshumanisé participait aux rites de l’Église, où il était exposé à la musique religieuse grégorienne et adopté par la contredanse européenne.
Quant aux danses d’origine africaine, elles ont animées les banboulas, c’est-à-dire les séances de danse autorisées par les colons. En général, il s’agissait de danses de fécondité d’origine Bantoue ou Congo, la chica et le calenda qualifiées de lascives par l’administration coloniale. Elles étaient accompagnées de percussions, de flûte ou de la « banza », une sorte de violon à quatre cordes. (Moreau de St-Mery, 1797-1798).
Fouchard, Jean. Les marrons du Syllabaire, Port-au-Prince, H. Deschamps, 1953.
Moreau de Saint-Méry, Médéric Louis Élie. Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue, Philadelphie, Paris, Hambourg, 1797-1798, tome I.
La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.
© 2024 IPIMH