Le culte ritualisé de l’Esprit Lovana est une pratique religieuse traditionnelle liée au vodou qui se positionne parmi les plus importantes dans le département du Nord d’Haïti. Il s’effectue dans l’enclave d’une réserve d’eau appelée Bassin Lovana qui a aussi donné le Lakou Lovana en hommage à l’esprit vodou qui y habite. C’est aussi un espace mythique à l’instar des bassins Saint-Jacques de la Plaine du Nord et Sainte-Philomise au bord de mer de Limonade. Ce culte rituel est très ancien et se déroule dans une ancienne habitation sucrière.
Les mardi et vendredi, de même tous les 26, 27 septembre, des foules de pèlerins perpétuent la pratique du culte de l’esprit Lovana dans le temps et permet son ancrage dans les us et coutumes des habitants du département du Nord. Le terme Lovana est passé dans le vocabulaire et dans la chanson haïtienne pour désigner une belle femme, une beauté créole.
Visiteurs, pèlerins, spectateurs qui attendent l’apparition d’un poisson © IPIMH 2013
Le culte à l’Esprit Lovana est un ensemble d’activités rituelles qui se déroulent dans la localité de Carrefour Duplaa, ancien vestige de l'habitation Duplaa chaque mardi et vendredi, généralement dans l’après-midi. Les commémorations traditionnelles se font tous les 26 et 27 septembre, date correspond à la fête de Pierre Toussaint, Saint patron de la zone, selon la tradition de l’Église catholique. Ainsi cette habitation est devenue un espace cultuel du vodou. Le culte à l’esprit Lovana attire plus de visiteurs ou pèlerins que tous les autres sites à caractère religieux du département, en particulier celui de bassin Philomise. En plus de sa dimension sacrée, ce site a une portée historique et devient un lieu de rencontre et de loisir.
Cette habitation se situe sur un champ où se dresse un mapou imposant, arbre reposoir pour les Lwa. À sa base se retrouve une construction de pierre. À sa droite, à une trentaine de mètre, se dressent les ruines d’une construction coloniale abritant un bassin de couleur bleu et blanche des couleurs du Lwa. C’est dans ce bassin que l’esprit Lovana se manifeste en la forme d’un poisson. C’est elle qui commande le lakou d’où l’appellation de Maitresse Lakou (Metrès Lakou). Il n’est pas donné d’y baigner sans rentrer en transe ou possession (pwan lwa).
D’autres Lwa prennent place à Lakou Lovana. On y retrouve un puits d’eau, vestige de l’époque coloniale, dédié à Erzulie Bohan. Maître Jean Dantor (Mèt Jan Dantò, un autre Lwa habite également un autre puits). Les Jumeaux ou Marassa (manman jimo) se logent dans un calebassier (pye kalbas), Agawou Pyè (Agou Pierre), lui, réside dans un Figuier. Une place est dédiée aussi à Lenglesou .
Beaucoup de gens prennent part au culte de l’esprit Lovana. Ils viennent de l’intérieur du pays tant que de la diaspora haïtienne. Les cérémonies débutent avec la traditionnelle salutation au son du tambour appelé « Sagwe tanbou » et avec de l’eau pour la libation et une bougie allumée.
Un ensemble de rituels destinés aux Lwa du lakou ponctuent les cérémonies. Ces rituels dépendent de l’intérêt des pèlerins. Certains viennent pour se prémunir de la chance en prenant « des bains de chance » dans le « Bassin Lovana ». D’autres sont là pour des actes de reconnaissance, des offrandes pour des demandes agréées par les Esprits. Des curieux et des touristes attirés par le merveilleux des fêtes champêtres viennent aussi pour admirer les poissons du « bassin Lovana » et contempler cet ancien vestige colonial. C’est ce qui fait la diversité des pèlerins et des visiteurs autour de ce bassin cultuel.
Maïs grillé; libation avec du vin, du rhum; sacrifices de bétail; bain de chance; offrande de gâteau; des bougies; des chants; des danses et des prières; tous les dons sont bons pour manifester leur ferveur, leur respect et leur reconnaissance à l’esprit Lovana et aux autres Esprits tutélaires du Lakou Dupplaa. Certains de ces dons ont leurs rituels, tel le mais grillé qui est accompagné de sa chanson, sa prière.
Un ougan/sèvitè vodou servant intermédiaire entre Esprit Lovana et une pèlerine © IPIMH 2013
Le culte à l’esprit Lovana se perpétue par la ferveur de la communauté qui contribue à sa sauvegarde et son encrage dans le temps. La transmission de ce culte se fait à travers les générations. La protection de cet espace cultuel se fait au sein même de la communauté et à travers l’imaginaire du vodou. Un comité formé des résidents de Lakou Dupplaa se charge de sécuriser le bassin, de faire le nettoyage. En 2009, le Ministère de la Culture avait donné son appui pour l’aménagement du site.
Pèlerins et visiteurs du site © IPIMH 2013
Lakou Lovana fait partie de l’ensemble des sites christophiens des habitations de Duplaa surnommées aussi «les Délices de la Reine». Cette habitation existe depuis la période coloniale et était la propriété de Baron Martin-Simon de Duplaa, d’origine béarnaise, président à mortier du parlement de Navarre à Pau. C’est sur cette habitation que furent plantées les premières cannes de la partie du Nord en 1699 précédées par un essai antérieur dans la plaine de Léogâne. L’historiographe de la période coloniale, Moreau de St-Mery a vanté la richesse et la beauté de cette habitation.
Deuxièmement après l’indépendance d’Haïti, elle avait été réaménagée en palais pour la reine Marie Louise, épouse du Roi Christophe. L’habitation produisait encore à cette époque 400 milliers de sucres l’an. Dans un troisième moment, elle a appartenu au président Jean Pierre Boyer après la mort du Roi Christophe. L’histoire n’a pas encore révélé les traces des autres propriétaires qui succèdent Boyer et de nos jours ce site relève de la propriété de l’État haïtien approprié et géré par la communauté locale comme lieu de pèlerinage et de loisir. Selon Mairie-Rossi c’est depuis la présidence de Paul Eugene Magloire vers les années 1940, période de son enfance que le site a pris cette dimension, quant à Leonel âgé de 41 ans depuis la décennie de 1980 la pratique vodou était déjà présente sur le site. Il a pris toute son ampleur à travers ses dimensions ludiques et de pèlerinage vers les années de 1992 avec l’apparition de la paroisse Pierre Toussaint. C’est exactement à partir de cette année que commence la commémoration annuelle du 26 au 27 septembre.
Auzias, Dominique et al. Le Petit Futé 2012-2013, Imp. CHIRAT, France,[En ligne], Aout 2012, p. 170., www.petitfute.com/ habitation duplaa.
De Cauna, Jacques. Patrimoine mémoire de l’esclavage en Haïti : les vestiges de la société d’habitation coloniale, In situ [En ligne], 20| 2013, mis en ligne 30 mai 2013, ww.revues.org.
Hurbon, Laennec. comprendre Haïti, Karthala, 1987, page 78.
Lerebours, Michel Philippe. L’habitation sucrière dominguoise et vestiges d’Habitation dans la région de Port-au-Prince, Presses nationales d’Haïti (Coll. Mémoire vivante), Port-au-Prince, 2006.
Saint-Méry, Moreau de. Index manuscrit sur fiches des noms géographiques, de personnes et de matières par L. Ph. May, environ 5000 fiches, 1936.
La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.
© 2024 IPIMH