Carnaval de Jacmel

Michaële Craan, Michelet Divers et Dithny Joan Raton

Michaële Craan est responsable de promotion culturelle et consultante pour le Bureau du Tourisme du Sud-Est. Michelet Divers est Directeur départemental du Sud-Est pour le ministère de la Culture et de la Communication. Il a écrit deux livres et publié plusieurs articles sur le carnaval de Jacmel. Dithny Joan Raton est chargée de mission, Plan Directeur du Tourisme (PDT Sud-Est).

Pratique culturelle

Intérêt patrimonial

Le carnaval de Jacmel s’appuie sur une tradition séculaire qui en fait aujourd’hui sa renommée. Reconnu pour son défilé qui témoigne de la créativité exceptionnelle des artisans de la région, il est le témoin de savoir-faire uniques, notamment la fabrication de masques en papier mâché. A cela s’ajoute une variété de costumes, de danses et de musiques traditionnelles, dont il assure la valorisation et la transmission, tout en perpétuant la mémoire des événements historiques marquants. C’est pourquoi le ministère de la Culture et de la Communication a consacré en 1994 le carnaval de Jacmel « carnaval national ».

Description de la pratique culturelle


Les reines dans le Carnaval de Jacmel © IPIMH 2009

Le carnaval de Jacmel est depuis un siècle environ la manifestation majeure du calendrier festif d’Haïti. Appelée dans le langage populaire «mardi-gras», la saison dite de carnaval commence le premier dimanche après l’Epiphanie (6 Janvier) et se termine le mardi précédant le Mercredi des Cendres, suivant le calendrier chrétien. Le carnaval national de Jacmel se tient une semaine avant celui de Port-au-Prince.

Cette activité mobilise plusieurs acteurs de la vie nationale : les institutions publiques, le secteur des affaires, les écoles de danse et de musique, les bandes à pied, les grands groupes musicaux, les écoles et les universités, et rassemble toutes les classes sociales. Les festivités attirent plusieurs dizaines de milliers de personnes : les habitants de la grande région de Jacmel, des visiteurs venus de partout dans le pays et de l’étranger. Le long de l’avenue du carnaval à Jacmel, la Barranquilla, c’est toujours une foule compacte qui voit défiler et exposer, comme un grand musée à ciel ouvert, tout l’art jacmélien.

Le défilé marque le temps fort des festivités. Des dizaines de groupes ornés de masques multicolores en papier mâché et de déguisements spectaculaires représentent des sujets très diversifiés, visant souvent la classe politique, ses moeurs et méfaits. Un orchestre composé exclusivement de femmes traduit la lutte pour l’émancipation de la femme dans la société haïtienne. Les hommes politiques sont caricaturés, tel le président Préval dont le mutisme légendaire est symbolisé par un cadenas dans la bouche. Les personnages mythologiques du folklore local et des religions judéo-chrétiennes sont nombreux: zombis, divinités du vodou, loups-garous, rois-diables, juifs errants, anges et saints. L’histoire est relatée à travers les déguisements d’Indiens qui rappellent les premiers habitants de l’île. Les esclaves et les affranchis font référence aux deux groupes qui se sont unifiés pour l’indépendance du pays. Le général Charles Oscar Etienne, Chaloska, auteur de répressions sanglantes à Jacmel et Port-au-Prince, est représenté par des effigies grotesques colorées de charbon et des dents monstrueuses. Les animaux de la jungle sont aussi représentés à travers des masques très colorés : tigre, léopard, girafe aux côtés des sauterelles, des animaux de la faune aquatique et ceux en voie de disparition.

Les danses trese riban (rubans entrelacés), les janm debwa (jambes de bois) revivifient des éléments du folklore, aux côtés des ailes Mathurin (diables aux couleurs vives et aux ailes métalliques), des monstres aux dents teintées de sang et des longs dragons serpentant dans la foule.

Tout ceci est suivi par le défilé des bandes à pied de Jacmel qui font avancer la foule au rythme des instruments traditionnels et modernes : vaksin, cuivres, cymbales, tcha-tcha et percussions. Les disc-jockeys, les grands groupes musicaux de Jacmel et du reste du pays contribuent aussi à l’animation. Le tout se déroule dans une ambiance bon enfant traduisant les charmes des habitants de Jacmel.


Apprentissage et transmission


Loup-garou en papier mâché réalisé par Didier Civil dans le Carnaval de Jacmel (avenue Barranquilla) © IPIMH 2009

La population de Jacmel accorde une grande importance à son carnaval. Une pédagogie se met en place en vue de perpétuer cette tradition. Certains thèmes du carnaval en témoignent, tels : patrimwàn nou se fòs nou (notre patrimoine est notre force), slogan du carnaval de 2008 et orijinalite m se pa m (mon originalité est mienne), en 2009.

Michelet Divers résume l’efficacité de cette transmission auprès des gens de la rue du Créac : « Pour eux le carnaval est une communion. C’est un rendez-vous solennel. C’est un gage. Dans ce quartier, jeunes et moins jeunes passent leur vie à créer des ambiances, à imaginer, à rectifier, à fabriquer des masques, à inventer des déguisements. On se rassemble pour préparer le carnaval à venir tout en tenant compte de la polémique entre les quartiers. […] Ces derniers estiment que le carnaval n’a pas d’âge. Leurs enfants, dès l’âge de trois ou quatre ans, portent des masques et se déguisent comme des adultes ».

Historique général


Masques en papier mâché dans le Carnaval de Jacmel (devant l'hôtel Florita) © IPIMH 2009

D’origine européenne, le carnaval est introduit en Haïti avec l’arrivée des Espagnols et des Français aux XVIe et XVIIe siècles. La présence des esclaves africains venus avec leurs coutumes, apportera des transformations à cette fête annuelle. Il s’est doté de traits proprement contemporains tout en conservant la mémoire de son parcours historique.

Au cours de cette dernière décennie, le carnaval haïtien tend à se positionner sur la scène internationale à l’instar du carnaval de Rio, de la Nouvelle-Orléans, de Nice, de Venise et de Québec. La ville de Jacmel est à l’avant-garde en attirant des journalistes et des visiteurs du monde entier en raison de sa spécificité : le papier mâché. Sa présence dans le carnaval de Jacmel remonterait au début des années 1980 avec les masques de Lionel Simonis représentant des animaux exotiques et des héros de l’indépendance nationale.


Documentation

Divers, Michelet. Guide du carnaval jacmélien, Document manuscrit remis par l’auteur.

Divers, Michelet. Le carnaval jacmélien, Document manuscrit remis par l’auteur.

Ledan, Jean fils. A propos de l'histoire d'Haïti, saviez-vous que… Port-au-Prince, Bèljwèt Publications, 2001, 2004, Vol. VI, IX, p. 26-27 ; p. 94-97.

Turgeon, Laurier (dir.). Rapport de la Mission canadienne sur la sauvegarde et la mise en valeur du centre historique de Jacmel, décembre 2008.

Sources

  • Nom du facilitateur ou des facilitateurs : Joseph Ronald Dautruche
  • Date d'entrevue : 2009-02-10
  • Nom de l'indexeur ou des indexeurs : Joseph Ronald Dautruche

Fiches associées

  • La fabrication de masques en papier mâché à Jacmel

    La fabrication de masques en papier mâché à Jacmel
    Dès leur plus jeune âge, les fils et les filles de la région de Jacmel participent à des activités artisanales liées à la fabrication de masques en papier mâché. L’apprentissage proprement dit se fait sur le tas. Les enfants apprennent en faisant toutes sortes de [...]
  • Le Rara de Léogâne

    Le Rara de Léogâne
    La majorité des bandes de rara de Léogâne sont fondées par un ougan ou par un pratiquant du vodou et les musiciens des rituels vodou sont les premiers à jouer dans les bandes de rara. La musique étant un élément fondamental des rituels vodou, les bandes [...]

Sons

Photos

  • Les reines dans le Carnaval de Jacmel © IPIMH 2009
  • Loup-garou en papier mâché réalisé par Didier Civil dans le Carnaval de Jacmel (avenue Barranquilla) © IPIMH 2009
  • Masques en papier mâché dans le Carnaval de Jacmel (devant l'hôtel Florita) © IPIMH 2009
  • Une représentation de Charles Oscar dans le Carnaval de Jacmel © IPIMH 2009
  • Loup-garou en papier mâché réalisé par Didier Civil © IPIMH 2009
  • Reine et roi dans le Carnaval de Jacmel © IPIMH 2009

Facebook

Partenaires

La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.

Logo - IPAC
  • Logo - Université d'État d'Haïti
  • Logo - Ministère Culture & Communication
  • Logo - iXmédia
  • Logo -
  • Logo -

© 2024 IPIMH