La fabrication d’objets en papier mâché à Jacmel est une tradition qui remonte au moins au milieu du XXe siècle et elle est considérée en Haïti comme une spécificité culturelle de cette région. La créativité exceptionnelle de ses artisans a contribué à sa renommée et à celle de son carnaval au cours des deux dernières décennies, surtout grâce aux masques flamboyants en papier mâché. Ce savoir-faire valorise les porteurs de tradition et donne une reconnaissance considérable à la région.
Chauve-souris en papier mâché réalisée par Didier Civil © IPIMH 2011
Les masques présentent des sujets très diversifiés : de la politique à la faune aquatique en passant par les personnages mythologiques du folklore local et des religions judéo-chrétiennes (zombis, divinités du vodou, loups-garous, rois-diables, juifs errants, anges et saints), les grandes périodes de l’histoire du pays (indienne, espagnole, française, révolutionnaire, nationale, américaine, contemporaine), les animaux de la jungle (tigre, lion, léopard, cerf, zèbre), etc. À côté des masques de carnaval, le papier mâché sert aussi à fabriquer des objets décoratifs et utilitaires.
Le port des masques est une activité qui permet à la population d’exprimer ses joies, ses frustrations et ses désirs. En d’autres termes, il constitue un médiateur du discours social et politique de la population jacmélienne. Au bal masqué de 1993, un artisan, Solioso Simonis, s’était déguisé en manguier construit en papier mâché, dénonçant ainsi l’érosion des sols dans la région.
La fabrication des masques est liée principalement au carnaval. Six mois environ avant son lancement, les artisans de la ville se mettent déjà au travail. Ils partent à la recherche de la terre argileuse pour la fabrication des moules et commencent le recyclage des boîtes et des sacs en carton qui serviront à faire le papier mâché.
La réalisation d’un masque se fait en six étapes. La première étape, c’est la préparation du moule qui donne forme au masque. Le moule est fabriqué avec de la terre argileuse humectée d’eau, afin de la rendre pâteuse, collante et solide. On travaille la terre jusqu’à ce qu’elle prenne la forme désirée. C’est cette première étape, la plus importante selon Didier Civil, qui donne corps à l’idée que l’on veut réaliser.
Avec ses doigts et ses outils, l’artisan fabrique ce qui constitue la base du papier mâché. C’est la manière de réaliser le moule qui distingue un artisan d’un autre. La forme et les expressions du masque dépendent de la créativité et de la dextérité de l’artiste.
La deuxième étape, c’est la préparation du papier, qui provient du recyclage des boîtes et des sacs en carton. Ainsi, les artisans de Jacmel contribuent aussi à la protection de l’environnement.
La troisième étape, c’est la préparation de la colle. Elle est faite avec de l’amidon (farine de manioc). Cette farine est mélangée avec de l’eau, de façon à obtenir un lait très clair ; après l’avoir brassée dans une casserole, on la laisse mijoter à feu doux durant quelques minutes. Une fois tiède, on l’applique avec les doigts sur le papier.
Lors de la quatrième étape, le papier est appliqué sur le moule. Il peut être ajouté soit à l’intérieur ou à l’extérieur selon le type de moule. On dépose pas moins de quatre épaisseurs de papier sur le moule avant qu’il soit prêt pour l’étape suivante.
Le masque est alors enlevé ou tiré du moule. On le nettoie, on fait la bordure au moyen d’instruments comme le ciseau.
La sixième étape, c’est l’application de la peinture. Après une première couche de base, d’autres couleurs de peinture acrylique vont être données pour rendre le masque éclatant. Le choix de la peinture est relatif mais il est conseillé d’utiliser la peinture acrylique parce qu’elle est facile à mélanger et moins toxique. On met une couche de vernis, ce qui permet de protéger le masque contre l’eau, l’humidité et la poussière. Des motifs sont enfin ajoutés selon l’objectif et le goût de l’artisan.
Didier Civil préparant un moule dans son atelier © IPIMH 2011
Dès leur plus jeune âge, les fils et les filles de la région de Jacmel participent à des activités artisanales liées à la fabrication de masques en papier mâché. L’apprentissage proprement dit se fait sur le tas. Les enfants apprennent en faisant toutes sortes de menus travaux d’apprenti. Ces jacméliennes et jacméliens, dénommés artisans dans le sang, développent des habiletés comme par enchantement et participent à l’embellissement du carnaval et à la décoration d’intérieurs de maisons de la région de Jacmel. La Fondasyon artisanal pou timoun de Jacmel initie les enfants à l’artisanat et notamment au papier mâché. Selon Didier Civil, « de nos jours se développe toute une zone du papier mâché à Jacmel, la rue Ste-Anne, où la majorité des femmes, des hommes et des enfants sont initiés à cette pratique » et presque toutes les maisons sont transformées en atelier-boutique.
La préparation d'un moule © IPIMH 2011
La technique du papier mâché remonterait au VIIIe siècle en Orient. Les Chinois l’auraient utilisée pour mouler des casques de guerrier. De l’Orient à l’Occident, cette technique semble arriver en Haïti lors des premières implantations des Européens et subit bien des transformations.
Selon les travaux menés par l’ISPAN à l’été 2011 dans le centre historique de Jacmel, certaines moulures de maisons du début du XXe siècle étaient faites en papier mâché. Il est possible que la fabrication de masques en papier mâché origine de la pratique de construction de ces maisons.
Son apparition dans le Carnaval de Jacmel remonte aux années 1950, mais c’est à partir des années 1980 que sa popularité commence à s’accroître, quand Lionel Simonis se lance dans la fabrication des moules pour représenter des animaux exotiques de la jungle et des portraits des héros de l’Indépendance d’Haïti. Par la suite, cet artisan a initié beaucoup de Jacméliens dans ce domaine.
« Dans le temps, les masques étaient utilisés uniquement dans le carnaval. De nos jours, ils sont utilisés dans le théâtre et comme objets décoratifs », mentionne Didier Civil. Les masques des différentes espèces d’animaux font penser au courant de la peinture haïtienne dite naïve des années 1940, spécialisée dans le genre animalier.
Divers, Michelet. Le carnaval jacmélien, Document manuscrit remis par l’auteur.
Turgeon, Laurier (dir.). Rapport de la Mission canadienne sur la sauvegarde et la mise en valeur du centre historique de Jacmel, décembre 2008.
Ecole Atelier de Jacmel de la Coopération espagnole sur les métiers artisanaux : http://www.aecid.ht/gd12projetfr.php?lang=fr&idmenu=6&idsubmenu=73
Bulletin de l’ISPAN, février 2011 sur les projets de sauvegarde du centre historique de Jacmel :
http://www.haiti.org/index.php?option=com_content&view=article&id=121&Itemid=90
La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.
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