Le Bois Caïman (Bwa Kayiman) est un haut lieu historique, culturel et cultuel. Il est un lieu de mémoire dans l’histoire de la libération des esclaves tant au point de vue national qu’international. « Traiter du Bois Caïman s’est abordé un enchevêtrement complexe où les sphères religieuse, culturelle, politique et économique s’allient organiquement. Tel qu’il est fréquent dans un nombre de pays, légende et histoire se combinent pour créer une partie de la grande fresque fondatrice de la nation » (Beauvoir Dominique et Lubin, 2000). Cependant sous la pression de certains courants religieux, le site en lui-même et la pratique qui lui est attachée peuvent être mis en danger par des attaques physiques sur des éléments symboliques représentatifs de tout l’ancrage historique, culturel et cultuel.
Entrée principale du site © IPIMH 2013
Dans son entité totale, le Bois Caïman couvrirait trois espaces : l’habitation de Lenormand de Mezy à Morne Rouge, Le Bassin Caïman au lieu-dit Genipayer, Lory (habitation Breda) et le Lakou Nan Campêche à L’Acul du Nord.
Le site de Lenormand de Mezy est considéré par l’ensemble de la population comme étant l’ultime station du Bois Caïman. À l’entrée du site, un tableau présente les Dieux de la guerre dans le vodou : Ogou Feraille et Saint-Jacques le Majeur. Puis une grande aire compte un espace central composé d’une grande salle (L’Esprit Boukman en action) où se passent les réunions et de deux petites salles annexes utilisées pour des activités particulières telle l’éducation communautaire. Deux arbres symboliques ornaient initialement l’espace : un caïmitier et un figuier. Deux peintures murales représentant la cérémonie proprement dite et la révolte générale des esclaves sont protégées du regard des curieux par une palissade de tôles ondulées aux couleurs du drapeau national.
De cet espace villageois, un chemin desservant les jardins et plus avant les champs, engagent les visiteurs en direction de la montagne menant à Nan briz, là où réside Briz Montay.
Centre d'animation communautaire © IPIMH 2013
De façon générale, en Haïti, l’histoire du Bois Caïman est enseignée depuis l’école primaire. Ce lieu, son histoire et ses héros ont été l’objet de multiples recherches tant au niveau national qu’international. Monsieur Joanem, notre informateur est désigné par la communauté comme le détenteur de la mémoire du lieu. De plus, il est important de souligner que le patronyme Joanem est également un toponyme de l’espace Bois Caïman. Dans son discours, il fait une synthèse entre ses enseignements acquis à l’école primaire et les savoirs transmis de ses prédécesseurs par transmission orale directe. Ses connaissances des pratiques culturelles et cultuelles liées à notre mémoire de peuple ont été transmises de génération en génération. Lors de l’entrevue, nous l’avons écouté dire la prière de Boukman qui a permis à l’assemblée des esclaves insurgés de se révolter :
Lapriyè Boukman
Bondye ki fè syèl ki klere nou anwo
Ki soulve lanmè, ki fè loray
Bondye la zot tandem Kache nan yon nyaj
E la li gade nou, li wè tou sa blan fè
Bondye blan mande krim, e pan ou vle byenfè
Men Dye la ki si bon, odonnen nou vanjans
Li va kondwi bra nou li ba nou asistans,
Jete potre dye blan ki swaf dlo nan je nou
Koute la libète ki pale nan kè nou.
« Le Dieu qui a créé la terre, qui a créé le soleil qui nous donne
la lumière.
Le Dieu qui détient les océans, qui assure le rugissement du tonnerre.
Dieu qui a des oreilles pour entendre : toi qui es caché dans les nuages, qui
nous montre d’où nous sommes, tu vois que le blanc nous a fait souffrir.
Le Dieu de l’homme blanc lui demande de commettre des crimes.
Mais le Dieu à l’intérieur de nous veut que nous fassions le bien.
Notre Dieu, qui est si bon, si juste, nous ordonne de nous venger de nos torts.
C’est lui qui dirigera nos armes et nous apportera la victoire.
C’est lui qui va nous aider.
Nous devrions tous rejeter l’image du dieu de l’homme blanc qui est si
impitoyable.
Écoutez la voix de la liberté qui chante dans tous nos cœurs »
Peinture représentant la cérémonie du Bois Caïman © IPIMH 2013
Sur l’habitation de Le Normand de Mézy, au Morne rouge dans la commune de La Plaine du Nord, se situe le « Bois Caïman », haut lieu historique, où s’est déroulé dans la nuit du 14 au 15 Aout 1791, le premier rassemblement, qui allait donner lieu au soulèvement général des esclaves la semaine d’après, du 22 au 23 aout 1791.
Dutty Boukman esclave et prête du vodou est né à la Jamaïque. Dans une invocation à l’esprit Briz Montay (Brise Montagne), Boukman demande la voie pour en finir avec le système esclavagiste. De là s’est enclenchée la cérémonie du Bois Caïman : « Une manbo se dresse pivote sur elle-même et fait tournoyer un grand coutelas au-dessus de sa tête, la foule silencieuse avec les yeux fixés sur la négresse prouve que l’assistance est fascinée. Elle introduit alors un cochon noir et d’un geste vif, la prêtresse inspirée, plonge son coutelas dans la gorge de l’animal. Le sang gicle, il est recueilli fumant et distribué à la ronde aux esclaves. Tous en boivent, jurent d’exécuter les ordres de Boukman » (Dorsainvil).
Le sang coulé a servi de ciment à l’ensemble de la communauté des esclaves révoltés. De là est parti le mot d’ordre « koupe tet, boule kay (couper les têtes, incendier les maisons) ».
Après une longue période d’abandon du lieu, le gouvernement d’alors a sorti en 1982 un décret déclarant le « Bois caïman, patrimoine touristique national ». En janvier 2000, une étude a été réalisée sur le site. Cette dernière lui a redonné vie et aujourd’hui le Bois Caïman est régulièrement fréquenté. Tous les 14 août, il accueille un pèlerinage foisonnant tant au niveau national qu’international. En tant que site historique, les écoles en font un but de voyage pour commémorer la date. Deux évènements majeurs ont placé ce site au centre de préoccupations commémoratives lui donnant une reconnaissance internationale. Le 24 août 2003, l’ Association des Peuples de la Caraïbe (APC), a tenue au Bois Caïman sa 3ème assemblée en présence de 1200 personnes, dont le prix Nobel de la paix Adolfo Perez Esquivel, afin de célébrer le 212e anniversaire du soulèvement. Et en 1997 l’UNESCO a choisi le 23 août en référence au soulèvement qui a suivi cet événement comme : « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition »
Beauvoir-Dominique, Rachel et Lubin Eddy. Investigations autour du site historique du Bois Caïman. Rapport, Cap Haïtien, Janvier 2000.
Dorsainvil J.C. Manuel d’histoire d’Haïti, Imp Deschamps/ F.I.C., Port-au-Prince
Deïta. La légende des Loa du Vodou Haïtien, éd. De l’auteur, Port-au-Prince, 1993.
Fouchard, Jean. Les marrons de la liberté, Ed. de l’Ecole, Port-au-Prince.
Hurbon, Laënnec. Les Mystères du vodou, Découvertes/Gallimard, Paris, 1993
Mennesonn-Rigaud, Odette. « Le rôle du Vaudou dans l’indépendance d’Haïti », in Présence Africaine, n° 18-19, février 1958.
La réalisation de l’Inventaire du patrimoine immatériel d'Haïti a été rendue possible grâce à l’appui de nos partenaires.
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